« Pour raisonner nos usages collectifs, le rôle des acteurs publics est complexe mais indispensable. Il consiste à actionner, à bon escient, les différents leviers que sont l’incitation, l’accompagnement et la régulation tout en créant les conditions d’équité et de justice sociale essentiel à la mise en place de la sobriété. »
Fabien Cauchi
Fabien Cauchi était l’invité de l’émission mensuelle #TCDPA « Toutes choses digitales par ailleurs » créée par le collectif ReEnchanter Internet. Animé par Fadhila Brahimi et ses chroniqueurs, ce temps d’échange avait pour thème « la sobriété ». Retour sur ces deux grands débats.
Pourquoi la notion de sobriété est si importante aujourd’hui ?
Pour démarrer le premier débat animé par Nicolas Célic et Pierre Vallet, il convenait de définir la notion la sobriété ! Utilisant la formule de l’économiste Eloi Laurent, Fabien Cauchi a ainsi expliqué que la sobriété est une situation dans laquelle les besoins humains (tels la santé et l’éducation) sont raisonnées par des critères de justice qui permettent d’allouer des ressources naturelles limitées1, et de rappeler les constats2 qui s’imposent aujourd’hui :
- 34 milliards d’équipements numériques sont en service actuellement et ce nombre croit chaque année.
- La fabrication des équipements numériques, des infrastructures réseau et des data centers nécessite des énergies fossiles et des métaux qui se raréfient et génère une forte pollution.
- Ces mêmes équipements numériques, infrastructures réseau et data centers consomment 5% de l’électricité mondiale. En lien avec l’augmentation du nombre d’équipements et la croissance continue de nos usages numériques, la consommation d’électricité devrait atteindre 30% en 2030 pour ce secteur.
- L’absence de filière de recyclage structurée favorise le développement de marchés illégaux basés sur l’exploitation des humains et de l’environnement.
En regard, les impacts sur la santé sont réels :
- La destruction de la biodiversité, la pollution des sols, de l’eau et de l’air ont de graves conséquences au plan de la santé physique.
- Les usages numériques ont un effet sur la santé mentale puisqu’ils créent de la dépendance, de l’anxiété, des troubles de la concentration…
Comment nos sociétés peuvent aller vers plus de sobriété ?
L’objet du second débat était logiquement de répondre à Comment faire ! Pour le président de Metapolis, la première étape consiste à prendre conscience de l’impact de notre mode de vie sur les dérèglements climatiques que nous commençons à percevoir. « Nous devons acquérir une conscience individuelle et collective ». En guise de source de documentation, il cite volontiers les travaux de Jean-Marc Jancovici et du Shift Project3. A Anthony Poncier qui soulevait la question de l’accessibilité de l’information, Fabien Cauchi répond en évoquant des sources de vulgarisation tels le site Bon Pote ou la Fresque du numérique, atelier d’intelligence collective dont ont bénéficié tous les salariés de Metapolis lors du dernier séminaire d’entreprise.
En parallèle de cette prise de conscience, Fabien Cauchi estime qu’il faut travailler autour du discours des enjeux climatiques auxquels nous sommes confrontés. « Aujourd’hui le discours évolue entre deux pôles opposés et irréconciliables : l’éco-anxiété d’un côté et de l’autre côté, l’idée qu’il est inutile de faire des efforts parce qu’il est déjà trop tard. Il faut donc inventer une troisième voie. Il faut écrire une histoire viable dans un monde juste pour rendre la sobriété désirable. »
Très concrètement, Fabien Cauchi affirme qu’il est nécessaire, dès aujourd’hui, de se poser la question de l’utilité et du sens tant dans notre vie quotidienne que dans nos usages numériques. Partir tous les ans en voyage dans des destinations exotiques ? Scroller sur les réseaux sociaux pendant 2 heures ? S’équiper de la dernière génération de smartphone alors qu’on a changé son matériel l’année précédente ? Il en va de la responsabilité de chacun de se poser ces questions et d’agir en conscience. Il est tout à fait possible, par exemple, de voyager sans prendre l’avion pour de nombreuses destinations.
Agir au niveau individuel est nécessaire mais nous devons aussi travailler au niveau collectif. Il est, par exemple, essentiel que les notions d’éco-conception, de durabilité et de réparabilité soient au cœur des décisions lors de la création de tout nouveau produit ou service.
Pour raisonner nos usages collectifs, Fabien Cauchi estime que le rôle des acteurs publics est complexe mais indispensable. Il consiste à actionner, à bon escient, les différents leviers que sont l’incitation, l’accompagnement et la régulation tout en créant les conditions d’équité et de justice sociale essentiel à la mise en place de la sobriété.