S’adapter : une nécessité
L’adaptation face aux dérèglements climatiques est une priorité ! Elle fait l’objet d’un plan national, dont la dernière version, le PNACC 3 a été soumis à la consultation publique depuis novembre 2024. Ce nouveau plan propose une trajectoire de réchauffement de référence pour l’adaptation au changement climatique (TRACC) reposant sur un scénario de réchauffement de la France hexagonale de 2°C en 2030, 2,7°C en 2050 et 4°C en 2100 par rapport à l’ère préindustrielle. La TRACC, considérée comme le fruit d’un consensus scientifique, sera proposée à l’ensemble des acteurs publics et privés pour construire leur propre stratégie d’adaptation au changement climatique.
Au sein des collectivités, l’adaptation est encore trop souvent abordée comme un volet du PCAET (plan climat air énergie territoriale), un plan réglementaire parmi de nombreux autres qui s’imposent aux collectivités. Pourtant l’adaptation d’un territoire est une politique nécessairement transversale et touche à des compétences extrêmement diversifiées au sein des collectivités. Elle concerne autant la gestion des infrastructures que des écosystèmes ; elle s’appuie sur les politiques d’aménagement et de logement ainsi que sur le développement économique et agricole. Elle est aussi de plus en plus à considérer comme une politique de solidarité sociale et territoriale : il faut réorienter les moyens vers les personnes les plus vulnérables ainsi que vers les quartiers et les communes les moins dotées.
Une mission Adaptation a été créée par le Ministère de la Transition écologique pour accompagner, à travers l’Agence Nationale de la Cohésion Territoriale (ANCT), les collectivités locales. Cette mission vise à apporter de l’expertise, de l’ingénierie et d’autres ressources pour comprendre les enjeux et les moyens disponibles en fonction des spécificités de chaque territoire.
Comprendre que nous entrons dans une ère de fortes incertitudes
La gestion des risques pouvait par le passé reposer sur des probabilités d’advenue d’événement extrême : on parle ainsi de crues décennales ou centennales pour désigner la probabilité qu’une inondation atteigne un certain niveau tous les 10 ans ou tous les 100 ans. Beaucoup d’infrastructures et de plans de gestion des risques ont été dimensionnés avec ces mesures du risque. Avec l’accélération de la hausse des températures, on sait que la probabilité de pluie intense, de vague de chaleur, de sécheresse, d’incendie de forêt ou encore de tempête a augmenté, mais on ne peut pas évaluer ces risques avec des probabilités précises pour les prochaines années et encore moins pour les prochaines décennies. Un peu partout, les mouvements des sols s’accentuent et fragilisent les bâtiments et les infrastructures. Ces mouvements se produisent sous l’effet de retrait-gonflement des argiles dans les très nombreuses communes qui ont des sols argileux, mais aussi en montagne avec l’accélération de la fonte des glaciers et un peu partout avec le risque de coulées de boue lors d’événements très pluvieux. Impossible cependant de prédire où les prochains mouvements de sols se produiront dans les prochaines années. On s’aperçoit aussi que le rythme d’augmentation du niveau de la mer constaté ces dernières années diffère de ce que les modèles prédisent et une accélération plus brutale encore dans les prochaines décennies est possible bien au-delà des prédictions de l’ordre du mètre d’ici la fin du siècle.
On constate que les pires scénarios scientifiques qui étaient envisagés dans plusieurs décennies se vérifient déjà. En fait, ces modèles ont des marges d’incertitude importantes, et nous sommes dedans.
Naviguer en eaux méconnues : méthode(s)
La première chose que devrait changer l’adaptation, c’est la manière de concerter. On ne peut plus concerter un plan tous les 3 à 5 ans. On doit avoir des cadres de concertation multiples et continus, où on peut définir collectivement ce qu’on doit faire, quels moyens on y met, qui fait quoi et comment. Des systèmes d’informations (SI) dédiés à ce partage de l’information peuvent jouer un rôle clé. Les collectivités et plus largement les acteurs publics ont une responsabilité pour organiser cette information et permettre à des collectifs rassemblant des personnes de différents horizons – citoyens, associations, entreprises – de s’en emparer. De nombreux outils sont aujourd’hui mis à disposition par différents services notamment au sein de l’Etat et des Régions. Toutes les collectivités peuvent s’en emparer et permettre un partage à l’échelle la plus locale. Construire un système de connaissance partagé, c’est aussi penser ce SI pour utiliser des savoirs et des remontées d’expérience très diverses afin de nourrir une connaissance qui tient compte des spécificités de chaque territoire.
La complexité des enjeux auxquels nous faisons face ne doit pas être une excuse pour renoncer à associer chacune et chacun. Les conventions citoyennes organisées dans de nombreux territoires sur le thème du climat montrent que si le temps nécessaire est pris pour prendre connaissance des enjeux, échanger avec des scientifiques, en discuter ensemble, il est possible de faire émerger au sein d’un collectif de personnes d’horizons divers des actions largement consensuelles et tout à fait à la hauteur des enjeux. Il faut seulement pouvoir bien déterminer le sujet à discuter collectivement et faciliter l’accès à de l’information pertinente. Les outils d’IA représentent une opportunité pour améliorer le fonctionnement de telles assemblées citoyennes. Ils peuvent par exemple faciliter des réponses à toutes les questions posées, en gardant une supervision par des experts tout en cherchant à faciliter leur travail. Ces outils peuvent ainsi aider à élargir le périmètre de telles assemblées ou à en multiplier le nombre de manière à associer plus largement dans l’objectif d’une meilleure connaissance partagée, nourrie par les savoirs scientifiques et par les politiques publiques déjà mises en place.
Adapter ou atténuer ?
L’adaptation ne s’oppose pas à l’atténuation au changement en climatique. Les actions d’atténuation, que ce soit à travers la réduction des émissions gaz à effet de serre ou l’augmentation des puits naturels de carbone peuvent être menées dans une perspective d’adaptation. Ainsi, s’adapter à un monde changeant suppose de réduire de multiples risques liés à la disponibilité et au prix de l’énergie et de nombreuses ressources. La sobriété, en énergie comme en matière, en est le meilleur levier et représente l’action la plus importante pour réduire notre empreinte carbone. Les stratégies d’économie circulaire, qui reposent sur un engagement pour la sobriété, peuvent ainsi contribuer à l’adaptation. Par ailleurs, adapter nos environnements naturels suppose de restaurer et renforcer le bon fonctionnement des écosystèmes qui sont les premiers leviers de captation du carbone. Une stratégie de biodiversité peut donc être considérée comme un axe à part entière de l’adaptation.
Derrière des projets d’adaptation peuvent se glisser des plans de transition multiples portés par différentes collectivités mais aussi par des entreprises et par des collectifs de formes diverses. Adapter un territoire suppose donc de favoriser les synergies à travers la mutualisation et la coopération en tenant compte de la diversité des objectifs qui sont poursuivis par chaque organisation. Il est grand temps d’en finir avec les plans silotés et il est nécessaire d’organiser une gestion collective qui permette aux différentes parties prenantes d’identifier autour de chaque enjeu ses responsabilités et de rendre compte au collectif les actions qu’elle porte et réalise.
Trouver les bons indicateurs
Cela suppose de repenser complètement la construction des indicateurs nécessaires au pilotage de plans stratégiques. L’Etat a amorcé un changement à travers la planification écologique et sa territorialisation dans le cadre des COP1 régionales. Cependant, cette approche descendante ne sera pas satisfaisante si elle impose des indicateurs qui ne tiennent pas compte des spécificités territoriales et des ambitions portées par les acteurs du territoire. Une collectivité cheffe de file peut prendre en main la coordination pour construire une territorialisation de cette planification qui s’inscrit dans la gestion collective. Ce peut être aussi un rôle tenu par d’autres acteurs locaux : agence d’aménagement et d’urbanisme, syndicat de commune, GIP2, etc. qui portent un investissement dans ce système de gestion collective afin de faciliter le partage des responsabilités entre acteurs publics et privés.
Repenser la finance
S’adapter, enfin, c’est repenser les politiques de solidarité sociales et territoriales. C’est par exemple adopter une approche de conception universelle pour tenir compte de toutes les vulnérabilités, en commençant par tous les handicaps et en pensant l’accessibilité dans tous les espaces. C’est aussi repenser la conception des services publics pour les rendre plus robustes, en s’appuyant sur une multiplicité d’acteurs. Le service public doit ainsi additionner le rôle nécessaire joué par des acteurs publics, en particulier en période de crise, avec d’autres acteurs issus du monde associatif et des entreprises. C’est à une autre forme de pilotage de la ressource publique qu’il faut donc réfléchir : les besoins sont énormes, chaque acteur public devra y consacrer une part croissante de ses efforts. Cela suppose de transformer les systèmes de gestion budgétaire et financière, de subventions et d’achat pour aligner les budgets avec les besoins sur le territoire et en garantir une évaluation qui s’appuie sur un SI intégré. L’obligation de produire une annexe verte au budget des collectivités peut être vue comme une première étape de cette évaluation. Elle va permettre aux directions financières de coordonner une évaluation de l’impact environnemental des différentes dépenses au sein de la collectivité.
Mieux intégrer le temps long
Au regard des multiples défis précités pour l’adaptation, cette démarche n’est cependant pas suffisante et il faut pouvoir non seulement la coordonner entre de multiples acteurs du territoire pour connaitre les contributions de chacun mais aussi la structurer dans une perspective de programmation pluriannuelle. Une telle programmation doit à la fois permettre de lancer les investissements nécessaires mais aussi de projeter les besoins budgétaires de fonctionnement et de préparer la réallocation des dépenses en fonction. C’est aussi une logique qui doit pleinement intégrer la gestion prévisionnelle des emplois et compétences : l’adaptation est une opportunité pour créer de nouvelles activités dont une partie importante pourra être assurée par des associations et des entreprises du territoires. Cela suppose non seulement de construire des programmes de formation mais aussi d’anticiper des changements d’activité. Le but est de permettre à toutes les personnes dont les emplois sont menacés à terme, et aussi à très court terme – lorsqu’une catastrophe advient et détruit des bâtiments et des actifs productifs – de pouvoir se projeter dans de nouveaux métiers.
Un défi aux multiples dimensions
Piloter l’adaptation suppose donc de réfléchir à l’évolution de nombreux systèmes d’information mais aussi d’en repenser les périmètres et les objectifs pour les construire au service d’une gestion adaptative, collective et inclusive.
Pierre Musseau, février 2025
[1] Conférence des parties, sur le modèle des conférences annuelles organisées par l’Organisation des Nations Unies.
[2] Groupement d’intérêt public : personne morale de droit public constituée de partenaires exclusivement publics, ou bien de partenaires publics et privés.